Présentation du connecteur diabolique
S’il est un connecteur diabolique, lorsqu’on est logicien classique, c’est bien l’égalité. Dans une lettre du 29 octobre 1913 adressée à Russell, Ludwig Wittgenstein écrit :
...L’identité, c’est le Diable en personne, et d’une immense importance ; bien plus que je ne le pensais. Elle se relie — comme toute chose — directement aux questions les plus fondamentales, en particulier à celles qui concernent l’intervention d’un même argument à différentes places d’une fonction. J’ai toute sorte d’idées pour une solution, sans avoir pu jusqu’à présent parvenir à quelque chose de décisif. Je ne perds pourtant pas courage et continue d’y réfléchir.
On peut se demander ce qui désarçonne à ce point Ludwig Wittgenstein. L’égalité est souvent simplement vue du point de vue de la substituabilité, c’est-à-dire le fait de pouvoir remplacer un objet par un autre, dans toutes les occurrences de celui-ci.
Lorsqu’on dit « a est b et b est a », on traduit cela par « B(a) ∧ A(b) ». Il sera alors difficile d’inférer (une évidence) qui est « a = b ». Cela provient du fait que la logique classique affirme a priori que a et b ne peuvent pas être à la fois individus et prédicats.
En théorie des ensembles, le problème se complexifie, puisque l’on considère la relation « appartenir à », qui restreint elle-même les conditions de possibilité. En effet (et nous serons amenés à en discuter avec le paradoxe de Russell), l’appartenance ne permet de traiter tous les objets du monde.
L’origine du symbole ∈ était pourtant un concept différent de l’appartenance : celui d’être. En effet, on utilisait la lettre grecque ε (epsilon) qui n’avait pour autre origine que le verbe latin est :
« Signum ε significat est. Ita a ε b legitur a est quoddam b ; ... » (Peano)
Cependant, la continuation de la théorie des ensembles en a voulu autrement. Le dogme aristotélicien de l’emboîtement a voulu que « est » est appartenir à une classe (la classe des hommes, la classe des philosophes, la classe des classes, etc.). Les mises au point de la théorie des ensembles suite au paradoxe de Russell ont conduit à considérer que « x ∈ x » est toujours faux[1], ce qui parait étonnant, puisque si on remplace x par un chat, on obtient « un chat n’est pas un chat ».
Il est évident que ce qui compte c’est l’appartenance, et non l’être. Il est clair que ce que l’on veut dire en théorie des ensembles modernes est « l’ensemble chat n’appartient pas à l’ensemble chat ». Parler en terme d’ensemble à la particularité de restreindre beaucoup les conditions d’utilisation de ∈, qui ne dénote définitivement plus le fait d’être.
Cependant, l’égalité est bien définie en théorie des ensembles, on s’inspire pour cela de l’identité des indiscernables de Leibniz :
a=b ≡ ∀x, x ∈ a ↔ x ∈ b
On dit ici que si deux ensembles ont exactement les même éléments, alors ils sont égaux. Mais de la même manière qu’en logique classique, on ne peut déduire « a = b » de « a est b et b est a ». Cela se traduirait par « a ∈ b ∧ b ∈ a » et il serait fallacieux de conclure « a = b ».
Nous voyons que ni la logique classique, ni la théorie des ensembles, qui se sert de la logique classique, ne permettent de déduire de « a est b et b est a » que « a est égal à b », c’est-à-dire un résultat dont nous serions enclins à affirmer qu’il est « logique ».
Que faire ?
Mais, si la logique classique, qui a été approfondie tout au long du XXe siècle, en long, en large et en travers ne permet pas de gérer correctement l'égalité, qui peut le faire ?
Le logicien Jean-Yves Girard propose une solution élégante à ce problème[2]. Dans le cadre de la logique linéaire, il est possible de voir l'égalité directement comme le connecteur d'équivalence linéaire ≡.
Avec le ton particulier qu'on lui connaît (particulièrement décapant), Jean-Yves Girard détruit la conception « tarskienne » (comme il l'appelle lui-même) de l'égalité, qui affirme que deux objets sont égaux s'ils font référence à la même chose. Il pourfend en particulier la fameuse définition du second ordre de l'égalité (attribuée à Leibniz) qui dit que deux objets sont égaux s'ils ont les mêmes propriétés :
a = b ≡ ∀X, X(a) → X(b)
« Mais alors, la propriété "être à gauche du signe =" ? » répond Girard, « ça fait bien une différence ! ». En effet, ça fait une différence. Encore une fois, « le roi est nu », et il faut trouver une solution hors du cadre « tarskien ».
Jean-Yves Girard propose alors de gérer les individus comme propositions, à l'aide de l'équivalence linéaire. En effet, en écrivant la définition de Leibniz à l'aide de l'implication linéaire
a ≡ b∨b ≡ c∨c ≡ a
On obtient que l'égalité correspond à l'équivalence linéaire, et que les objets peuvent être gérés comme des propositions (ici la transitivité de l'égalité).
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